C’est en 2012 que l’Ardbeg Day a été établi. Depuis, chaque printemps, on honore la distillerie d’Islay et cette année, une petite variation voit le jour.
En effet, ce sont les forces obscures qui s’emparent de l’événement. L’Ardbeg Night est programmée pour le 28 mai et s’opérera, comme son nom l’indique, de nuit.
Toutefois, tout n’est pas bouleversé. Ainsi, l’édition annuelle est comme d’habitude là pour nous appâter. Les followers d’Ardbeg ( « Committee ») ont déjà pu acheter la petite dernière, le Dark Cove embouteillé à 55%. Une bonne raison de s’interroger, sans se faire mal, sur les 5 dernières éditions…
L’Ardbeg Day sonne à la fois comme un trip narcissique et une manœuvre mercantile efficace. Chaque année, reviennent les sempiternels débats sur la raison d’être de cette journée et de l’embouteillage qui est relié. Bon plan ? Arnaque ? Expérimentations ?
En 2012, il y avait eu l’Ardbeg Day, en 2013 l’Ardbog, en 2014 l’Auriverdes et en 2015 le Perpetuum.
Alors que se profile la cinquième saison de ces péripéties, voyons un peu si l’on retrouve un ADN commun à toutes ces versions tout en découvrant les caractéristiques du Dark Cove.
Un nom, Une histoire: le coup de semonce marketing
Il y a ici une double lecture à avoir.
On parle bien d’un dram produit dans un contexte commémoratif. Il est donc tout à fait légitime qu’un nom soit choisi plutôt qu’un âge, un numéro de fût…
De même, il paraît plutôt normal que l’on soit dans une logique de storytelling.
Toutefois, Ardbeg nous raconte qu’il faut être heureux de leur existence, que leurs whiskys plaisent mais, qu’en plus, ils sont reliés à un cadre extra-spiritueux…
Ces grandes tirades marketing sont plutôt grossières mais fonctionnent de par la transversalité des thèmes qui dépassent allégrement le cadre de notre précieux breuvage.
L’Ardbeg Day 2012 jouait la simplicité mais se regardait le nombril (bouteille d’Ardbeg Day sur l’étiquette) comme un adolescent pub-ère.
De même, l’Ardbog formait un jeu de mots avec les tourbières (peat bogs), nécessaires à l’élaboration de leur whisky. Bien entendu, une vidéo loufoque nous emmenait sur les chemins de l’histoire et du mythe avec une bouteille enfouie comme finalité.
Cela se compliquait ensuite avec L’Auriverdes qui rendait hommage à la coupe du monde de football au Brésil (voir ici). On pouvait à ce stade parler d’opportunisme forcené et on commençait à perdre toute cohérence. Ardbeg poussait décidément le ballon un peu loin.
Enfin, le Perpetuum de l’année passée (voir l’article ici) qui célébrait les 200 ans de la distillerie montrait surtout une modestie infinie : »Le temps passe, Ardbeg reste ».
Jusque là, la distillerie a donc joué la carte de la diversité, allant parfois jusqu’à l’absurde. Cette année on retrouve le côté « retour aux sources » avec ce Dark Cove (crique sombre), qui met l’accent sur l’héritage des contrebandiers, ce côté rebelle qui ferait presque oublier qu’Ardbeg n’est pas une distillerie familiale.
Voici donc la vidéo de présentation de ce nouvel objet maltesque identifié :
On notera que ce Dark Cove est défini comme le plus sombre d’après Ardbeg. Une preuve de plus que la percussion des arguments marketing est plus importante que la réalité : Ardbeg Night, Dark Cove, plus sombre que jamais, Dark Sherry…
Des publics et des valeurs variés
L’autre point délicat de ces sorties annuelles concerne leurs prix qui ne sont pas sur une pente descendante. Ainsi, le Dark Cove Committee Release ne part pas à moins de 100€.
La notion de sortie unique et de rareté, embrassant la logique de marché, est très présente sur ces versions. Et c’est pour cela qu’elle se retrouvent très vite commandées par des acheteurs aux aguets.
Mais est-ce que tous les membres du Committee choisissent de prendre un Dark Cove pour le boire ?
On peut distinguer plusieurs engeances gravitant autour de ces bouteilles. Il y a tout d’abord les Ultras. Ce sont des fans absolus, prêts à se faire graver une croix de Kidalton pour chaque bouteille d’Ardbeg descendue.
Moins extrémistes, il y a les collectionneurs qui ont débuté par l’Ardbeg Day ou l’Ardbog et qui veulent perpétuer la tradition avec chaque nouvelle mise. Ou encore les habitués d’Ardbeg qui veulent changer des versions classiques.
Il y a également les curieux qui sont plutôt sous le charme du produit, de son packaging, des papiers qui font le buzz sur le sujet…
Enfin il y a ceux qui y voient un investissement à court terme puisque la demande est telle que le second marché est très réactif sur ce type d’embouteillage. Une pratique qui continue de mystifier un peu plus ces embouteillages (qui ne sont pas toujours des tueries gustatives) et à faire augmenter les tarifs (de première et seconde main).
Les commandes ont d’ailleurs été limitées à 2 bouteilles par personne.
Le prix reste assez élevé pour un whisky sans âge mais c’est une mécanique bien huilée qui est à l’œuvre et qui se ritualise à l’évidence d’année en année.
Expérimentation et tradition du NAS
Derrière tout ce fatras communico-financier, il y a des whiskys (si si je vous jure). Si on peut toujours s’insurger de l’absence d’âge, il faut avouer que c’est une pratique courante pour la marque. En effet, il y a une filiation avec la politique de la gamme traditionnelle. On retrouve par ailleurs cette volonté de parler de l’environnement de la bouteille, comme le Galiléo qui avait voyagé dans l’espace, tout en mettant en avant la qualité du maître distillateur, le Dr. Bill Lumsden.
L’Ardbeg Day nous avait offert une version portée par les fûts de sherry ayant contenu de l’Uigeadail, l’expression phare de la marque. L’Ardbog jouait sur un combo de fûts de bourbon et de manzanilla, l’Auriverdes toastait ses fûts de manière unique tandis que le Perpetuum était un alliage de fûts de bourbon et de sherry.
La composition de ces assemblages maison (le vatting) n’est jamais explicite et on peut difficilement être satisfait par la recherche proposée ici.
Si on sent bien que les mélanges de fûts et les whiskys sans-âge font partie de la culture moderne de la distillerie, la sécurité l’est donc tout autant.
Le Dark Cove ne déroge pas à la règle avec l’utilisation de fûts de bourbon et de fûts de dark sherry. Cette dernière expression est des plus floues. Si instinctivement cela suggère du Pedro Ximenez, on a du mal à savoir ce qu’il en est réellement, surtout en l’absence de durée de maturation. Obscurantiste plutôt qu’obscur en somme.
On a donc vu plus engageant bien que, dans la gamme traditionnelle, des bouteilles telles que l’Uigeadail gagnent à avoir l’influence du sherry.
Qualité ou poudre aux yeux
Comme toujours il s’agit d’une question de goût. Cependant, on peut constater que ces éditions annuelles ont rarement été géniales, faute de prises de risques réelles. L’appel du consensus est parfois le plus fort et cela peut-être franchement agaçant.
Ce ne sont jamais de mauvais whiskys mais rarement de bonnes pioches car ils manquent souvent de personnalité.
On pourrait penser que ces tentatives épisodiques pouvaient ouvrir de nouvelles voies, surtout quand on entend parler Bill Lumsden à propos de ses expérimentations.
On peut passer sur la publicité un peu poussive, les prix un peu élevés mais ce manque d’engagement reste tout de même problématique.
Le Perpetuum, qui devait célébrer les 200 ans de la distillerie, était une déception symptomatique de ce phénomène.
Le Dark Cove, quant à lui, démontre que le savoir-faire est là et que la voie pour les années à venir peut être toute tracée. Gageons que les éminences grises d’Ardbeg réalisent qu’ils ont un potentiel à exploiter.
Pour ceux qui auraient raté la note de dégustation du Dark Cove Committee Release, elle se trouve ici.
Leave a Reply