C’est à Paris, au pavillon Ledoyen, qu’avait lieu le 10 et 11 (pro) septembre le grand rassemblement des spiritueux made in France. Cette notion de retour au patriotisme économique qui infuse actuellement dans notre société a probablement donné un supplément d’aura à cette troisième édition qui proposait pas moins de 100 marques. Whiskyandco y était et vous propose ses modestes impressions sur ce bien beau salon…
Avant toute chose, précisons certaines choses :
– Si ce n’est pas le Whisky Live, c’est un salon imposant et on ne peut pas tout découvrir. De facto, je n’ai pas assisté aux conférences et mes impressions globales tenteront d’embrasser une vision générale. Les marques mises en avant ne sont pas les seules à faire de (très) bons produits mais il faut bien réaliser une sélection.
– Contrairement à d’autres événements, je ne me suis pas principalement focalisé sur le whisky puisque certains alcools sont rarement représentés et il fallait en profiter.
– Des dégustations illustreront certaines de mes analyses. Je remercie par avance tous ceux qui ont joué le jeu en m’offrant la possibilité de goûter à nouveau leurs produits dans des conditions optimales (c’est-à-dire chez moi, au calme).
Organisation et salon à taille humaine
Avant de rentrer dans le vif du sujet, parlons simplement de la structure de ce France Quintessence.
J’en profite, car on le fait assez rarement, pour remercier le personnel présent (hors exposants) pour son travail sérieux et son amabilité.
Sous la houlette de son instigateur, Philippe Jugé, ce salon présente des caractéristiques particulières qu’il faut souligner.
Tout d’abord, l’échelle. Je pense parler au nom de nombreuses personnes présentes en arguant que l’une des grandes forces de France Quintessence est sa dimension réduite, sa capacité à laisser de l’espace aux visiteurs mais surtout du temps pour parler avec les exposants. Ce confort est indéniable et rompt avec l’esprit « usine à gaz », fortement connoté par des préoccupations et des représentants commerciaux.
Bien évidemment, le fait de découvrir des alcools moins présents dans nos discussions d’amateurs implique une nécessité d’être ludique, afin d’en retirer le maximum.
Ensuite, parlons de la structuration du salon. Le lieu est beau et facile à arpenter mais surtout il a été aménagé afin que tout le monde ait un accès facile aux éléments importants. Des fontaines à eau (pour l’hydratation), des rince-verres en nombre et des verres facilement remplaçables. C’est bien pensé et c’est le genre de détails qui compte sur le long terme.
Si le portrait dressé est plutôt laudatif, on signalera quelques bémols.
Le premier point est relatif au pavillon Ledoyen. Des courants d’airs froids rendaient la position fixe sur certains stands assez désagréable. De surcroît, cette circulation empêchait parfois le nosing correct des produits. Un peu dommage en termes d’iniquité.
En parlant des verres, je reste sceptique quant au choix du modèle. Oui, ce sont de jolis produits mais le format ne me semble guère en adéquation avec un salon. Comme on peut le voir sur la photo ci-dessous, il faut une quantité important pour avoir un nez plein alors qu’un modèle plus tassé aurait permis de servir des doses plus faibles (et donc de jeter moins de produits dans les crachoirs).
Ce préambule étant fait, parlons produits !
Cognac : la cure de jouvence
Une des choses les plus frappantes du salon, et il en va de même pour l’armagnac (dans une moindre mesure), c’est la volonté de faire revenir dans la culture française les alcools nationaux, à travers une annihilation de l’image poussiéreuse, d’alcool de grand-père et une préhension des enjeux des spiritueux : une palette aromatique plus large, une mise en avant des matières premières, du savoir-faire, de la dimension locale et nationale (traçabilité) et l’absence de « triche » (pas d’ajout, produits naturels).
Le cognac traditionnellement construit autour de l’assemblage est tenté par l’aventure des expérimentations et des small batches, une vision qui semble le placer en joker de luxe pour le whisky (et ce n’est pas pour rien, cf les tarifs). A cet égard, la vraie bonne surprise est la présence massive des maisons de cognac (19) et la volonté de briser les codes par un rajeunissement d’ensemble.
En sus, il ne s’agit pas d’un effet d’annonce purement commercial mais bien d’une propension tangible, mise en exergue par la dégustation.
Les plus belles découvertes du salon ont probablement été dans ce secteur et je souhaitais mettre en lumière les artisans les plus sérieux de ces atavismes remis au goût du jour.
Débutons notre exploration par la maison Bourgoin, présenté comme cognac de vigneron. Sous l’égide de Frédéric Bourgoin, le vignoble familial (depuis 1930) vise le retour à un cognac « nature », de terroir : sans assemblage, sans filtration…
On sent une passion pour la pratique saupoudrée de composantes physico-chimiques via l’utilisation des eaux de pluie (minéralisées donc) pour la réduction des jeunes eaux de vie ou encore les soutirages effectués en quadrature de lune, par gravité.
De sa gamme, je retiendrai les tentations pâtissières et florales du Fine Pale à 62,5% et peut-être le brut de fût 1994, ayant été moins emballé par la version réduite passée en microbarrique.
Une approche intéressante (traçabilité jusqu’à la parcelle) et des produits reconnaissables pour faire court.
Notre deuxième escale se fait chez un des artisans historiques du cognac, à savoir la maison Augier. Née en 1643, elle propose aujourd’hui un retour aux sources, à travers de multiples triptyques. Tout d’abord, la méthodologie : la filtration à température ambiante, l’absence d’additifs et le choix du degré alcoolique adapté. Ensuite, la ligne directrice du cognac : 1 cépage, 1 cru et une méthode de distillation (lies fines soutirées, conservées ou renforcées). Enfin, cela se traduit par 3 cognacs aux caractères bien différents.
« Le Singulier » à base de folle blanche est bon mais reste trop consensuel. Toutefois, « Le sauvage » exprime mieux son caractère mature tandis que l’OVNI demeure « L’océanique », cognac atypique et d’une belle finesse. Pour les plus curieux d’entre vous, la note de dégustation se trouve ici :
L’océanique par Augier
Notre troisième point de passage se trouve être Fanny Fougerat. Depuis 2013, elle a changé la donne de l’exploitation familiale en ne la confinant plus aux blends des maisons traditionnelles. Sa gamme a pour but de valoriser sa production, 30 Ha en Borderies et Fins Bois et un seul cépage, l’ugni blanc.
Outre cette démarche intéressante, on observe une très belle cohérence d’ensemble et un packaging au style choyé. L’expression polymorphe permet de passer du VSOP « Petite cigüe », doux et fruité à un XO « Cèdre Blanc » beaucoup plus trapu, toujours fruité mais parsemé d’épices. Pour les deux autres produits de la gamme, c’est par ici que cela se passe :
Iris Poivré XO Fanny Fougerat
Laurier d’Apollon XO Fanny Fougerat
Notre dernière halte dans le cognaçais est un peu particulière puisqu’il s’agit du STAND DU SALON, ni plus ni moins. J’évoque ici Grosperrin. Jean Grosperrin courtier collectionneur dans la région ne pouvait que se rendre compte qu’il y avait des pépites cachées. La marque implantée en 1992 et qui a vu Guilhem (le fils) rejoindre l’aventure en 2004 officie toujours en tant que chasseur de trésors, racontant l’histoire de chaque mise en valorisant des territoires différents. Tout est stipulé de manière exhaustive sur l’étiquette permettant de nous plonger dans la destinée et l’ADN de son produit.
Voici une photo du stand pléthorique proposé par la maison indépendante.
Si tout n’est pas repérable d’un simple coup d’œil, une gamme pétulante était proposée nous emmenant à travers les magnifiques années 60 (quelle période quand même), jusqu’aux années 20 (1924). Un tel déploiement est rare et on ne peut que louer une telle démarche au sein d’un salon. Gageons que cette générosité fasse des émules !
C’est avec beaucoup de plaisir que je vous propose 2 notes de dégustations de leur maison. Ce sont des versions qui n’ont pas encore été mises en bouteille :
Grosperrin 1963 Grande Champagne
Grosperrin 1964 Borderies
Comme vous pouvez le voir, des approches complémentaires s’émancipent afin de proposer une palette plus large. Un excellent signe pour les années à venir.
Armagnac : Dartigalongue et les autres ?
Si dans le cognac, on sent une dynamique forte, il semblerait que l’armagnac soit un peu plus timide. Non pas que les produits soient forcément ratés ou qu’il n’y ait pas des tentatives de modernisation, mais la recette victorieuse ne semble pas encore peaufinée.
En attendant, il y a une maison qui surnage dans cet océan, c’est Dartigalongue, qui nous offrait un des plus beaux stands. Fondée en 1838, elle poursuit sans relâche son idéal de l’armagnac avec stabilité. Assemblage de 3 cépages (Ugni blanc, Baco 221 et Folle Blanche), leurs armagnacs sont surveillés par Ghislain Laffargue (maître de chai depuis 1990) et Benoît Hillion, directeur et représentant actuel de la maison.
Si on peut bien entendu louer la qualité des éditions millésimées Single Cask et des éditions limitées (la cuvée Louis-Philippe, assemblage de 1974 et 1976, très réussie), la gamme d’assemblage classique est déjà marquante, notamment par son rapport qualité prix imbattable.
Je vous propose de découvrir le 15 ans, la charnière de la gamme :
Dartigalongue 15 ans
On notera que le Hors d’âge et le 25 ans sont un peu en-dessous au niveau de l’intérêt à l’achat mais cela n’empêche pas le VSOP, le 15 ans et le 30 ans de faire très mal à la concurrence.
En effet, en termes d’équilibre et de présence en bouche, il n’y a simplement pas de compétition. La gestion du bois et la consistance des armagnacs sont souvent moins bien gérées chez les autres maisons dégustées.
On gardera tout de même en tête le joli 1967 de chez Darroze.
Valeurs sûres, bonne ambiance & découvertes
Le cognac et l’armagnac étant, sur ce salon, mes cibles prioritaires, j’ai un peu laissé de côté le rhum. J’ai toutefois passé un bon moment sur le stand La Mauny, avec notamment un rafraîchissant Daïquiri sur base de La Mauny-Ananas et évidemment avec l’inénarrable Cedric des « Rhums de Ced’ » qui présentait notamment sa nouvelle réussite atour des Mirabelles.
Au rayon valeurs sûres et bonhomie, on peut évoquer Mette et ses eaux-de-vie artisanales. Si leur gamme est immense, l’échantillonnage était varié et instructif. Leur fameuse Poire Williams, l’originalité de la prunelle sauvage et le piquant du gingembre étaient notables. La framboise sauvage est peut-être un brin en-dessous (le problème des fruits rouges) mais la prune vieillie était plutôt convaincante.
On peut souligner les diverses propositions chez Christian Drouin, que ce soit leurs calvados (évidemment) ou leur gin assez frais.
Enfin, on terminera ce petit tour de piste par des produits un peu hors-normes, qui proposent des lectures atypiques de l’alcool.
D’une part la maison Ferroni, jamais avare en réminiscence spirituelle, qui proposait des curiosités avec notamment l’eau verte de Marseille, emplie de menthe poivrée.
D’autre part, la distillerie de Paris qui est parvenue à produire de l’Aquavit fun et bien fichu, à dominante « couscous ». Une bonne surprise.
Pour terminer, il fallait souligner le très beau gin produit par Decroix (agriculture biologique) avec une combinaison vive mettant en avant la fraîcheur et la corpulence tendre du Poivre de Sichuan.
Le whisky français : le parent pauvre ?
Derrière cet intertitre un brin hyperbolique se cache un questionnement profond concernant l’évolution à laquelle on assiste actuellement ou plutôt par rapport aux partis pris choisis.
Pour débuter, on a les distilleries dites solides qui manquent généralement de versions plus haut de gamme, plus vieillies et/ou des Single Cask.
On peut commencer par parler de Rozelieures, qui proposait en outre une jolie vieille prune, et qui offre une palette de malts tourbés (sans ppm stratosphériques) tout en conservant l’identité du produit originel puisque la famille Grallet-Dupic est propriétaire-récoltante et distille depuis 150 ans.
On retrouve une gamme assez homogène, avec un peu trop de soufre parfois, mais qui fait le job.
Pour le fumé, cela se passe par là :
Rozelieures fumé collection OB
On passe alors chez Armorik, le pionnier français, qui demeure toujours aussi efficace, comme le Sherry Cask ou le Dervenn.
Dans son registre, le Domaine des Hautes Glaces tirait en général son épingle du jeu. L’Ampelos, malgré le maintien de la note céréalière reste décevant par un fût qui le confine trop sans être pourtant hégémonique.
Pour poursuivre sur le thème de la nouvelle vague, il est bon d’apporter nos encouragements à la distillerie de Bercloux qui, malgré sa jeunesse (8 mois), semble avoir une base prometteuse. On surveillera avec intérêt leur évolution !
Pour clore le sujet du whisky français, je lance un appel assez généraliste puisque cela touche beaucoup de distilleries. Arrêtez de vouloir à tout prix nous pondre des maturations en fût de vin ! Le terroir ce n’est pas que cela, le savoir-faire c’est avant tout la distillation et la maîtrise de l’aromatique et de la structure de son distillat. Ce point de vue trop centralisé sur le particularisme viticole français doit rester marginal, afin de laisser la personnalité du whisky se mettre en place en toute quiétude.
Nous allons bientôt arriver à un plateau, à une stagnation qualitative si on se permet de driver son produit via une maturation dissimulatrice.
A bon entendeur !
Conclusion
Beaucoup de points positifs sont à saluer. Il me semble évident qu’il s’agit d’un des salons les plus agréables à faire, en tout cas dans les conditions actuelles (sic). La variété des produits ne demande qu’à s’accentuer et l’organisation est, à quelques vétilles rectifiables près, déjà arrivé à une belle maturité.
Bien entendu, c’est à travers un succès majeur (qui ne devrait pas tarder) que l’on pourra juger de la solidité des infrastructures sous-jacentes mais on ne peut guère leur souhaiter autre chose.
2 Comments
Armagnac 1968
7 février 2018 at 13 h 52 minVivement l’année prochaine
Thomas
7 février 2018 at 14 h 34 minTout à fait ! Un événement à surveiller de près !