Le métier
J’espère que cet article vous aidera et nous serions heureux de vous voir en France. Vous notez qu’il est difficile d’arriver sur ce marché. Avant de lancer Brachadair, quelle image aviez-vous de l’embouteillage indépendant ? Aviez-vous un modèle en tête ou vouliez-vous apposer votre vision ?
Je pense que c’est ce que j’attendais, et j’ai seulement mésestimé l’offre de fûts : ce n’est pas facile de trouver (des fournisseurs) de bons fûts. Peut-être que je pensais aussi que la marge serait un peu plus importante pour le « broker » (au moins égale à celle du distributeur) mais ce n’est pas un souci majeur. Après tout, à travers le distributeur, on touche un plus grand public. Je n’avais pas de modèle en tête ni de business plan ; j’avais juste un hobby que je voulais partager avec autant de monde que possible. Mais évidemment, pour cela, vous devez vendre des bouteilles. Le premier objectif est d’avoir une bonne gamme d’embouteillages et un petit extra pour être capable de m’acheter une bouteille spéciale (pour moi-même) de temps en temps. Tout le reste c’est du bonus.
Est-ce que votre opinion a évolué depuis que vous avez mis les mains dans le distillat ?
Non, ça fait seulement un peu plus d’un an, donc rien n’a changé.
Quelles sont les différentes étapes quand vous créez un nouvel embouteillage (depuis l’idée jusqu’à la vente) ?
Eh bien, pour le moment, beaucoup de choses sont déterminées par la gamme de base que je désire offrir. Je préfère les whiskys moins connus, s’ils sont de bonne qualité ! Ensuite, vous trouvez un fournisseur qui a quelque chose qui vous intéresse et vous demandez des samples. Si vous êtes chanceux, vous trouvez un fût au-dessus du lot ; sinon : d’autres fournisseurs et/ou d’autres samples. Et vous continuez ainsi jusqu’à trouver un produit auquel vous croyez.
Ce qui suit est plutôt simple : passez votre commande, faites imprimer vos étiquettes et envoyez-les au fournisseur, recevez vos bouteilles et payez. Mais c’est là que tout commence vraiment : faire de la publicité sur le site web et sur Facebook, envoyer des samples aux reviewers et blogueurs en espérant avoir de bonnes notes, et commencer à contacter des magasins et des distributeurs.
On a du mal à cerner quelle est la vie d’un embouteilleur indépendant.
Sachant que vous avez un emploi à plein temps, quel est votre quotidien ?
Je n’ai pas (encore) de routine et je dois admettre que, durant la semaine, je n’ai pas beaucoup de temps pour m’occuper de Brachadair, excepté pour surveiller mes mails. J’essaie de rattraper cela le week-end, et pour l’instant c’est suffisant. Cela évoluerait probablement un peu plus vite si j’avais plus de temps à consacrer au business du whisky mais pour le moment ce n’est pas possible.
Vous participez aussi aux festivals maltesques alors que l’on trouve souvent des stands avec des commerciaux plus ou moins compétents. Cette relation directe est-elle prépondérante pour vous ? Qu’en retirez-vous ?
J’adore le whisky, j’adore sélectionner des fûts et voir que les autres aiment mes choix. Je ne suis pas très commerçant mais si vous ne vendez pas votre whisky, vous ne pourrez pas continuer longtemps à sélectionner des fûts. Je pense donc qu’il est nécessaire d’assister à des festivals, d’être vu et entendu par les consommateurs de whisky, et j’aime faire cela de temps en temps. Mais quand on est une jeune et petite maison de négoce, nouvelle sur le marché, assister aux festivals coûte plutôt cher. Donc, nos priorités sont d’obtenir un numéro d’accises et/ou un entrepôt des douanes, sélectionner un quatrième fût, et essayer de tisser des liens à l’étranger (France, Pays-Bas, Allemagne.. et au-delà). Peut-être que vous pourriez nous aider un peu et nous faire inviter en France ?
Quand vous vous êtes présentés la première fois en Écosse comme un nouvel IB (Independent Bottler), comment avez-vous été reçu par les professionnels des distilleries ?
Depuis que j’ai lancé Brachadair, je suis allé une seule fois en Écosse, avec quatorze autres membres du club de whisky auquel j’appartiens. J’ai saisi l’opportunité de joindre l’Arran Brachadair à la line-up de la dégustation de la distillerie, et il a été bien reçu par nos membres et par la distillerie. Mais j’espère que dans le futur j’aurai l’opportunité d’aller régulièrement en Écosse et de rencontrer des professionnels sur place.
Économie et ouverture
L’économie européenne est actuellement plutôt instable ; le monde du whisky et celui de l’embouteillage sont ultra-compétitifs. N’aviez-vous pas peur de ce challenge ?
Nous savions que ça n’allait pas être facile mais « peur » n’est pas le bon mot : puisque ce n’est pas mon activité principale et que l’impact financier est plutôt faible, le risque est limité.
Peut-être que votre expérience donnera envie à certains de tenter leur chance.
Quels conseils donneriez-vous à un aspirant embouteilleur indépendant en 2014 ?
D’abord, il faut s’assurer d’avoir une base solide concernant les fournisseurs. Je ne l’avais pas et je suis toujours en train de lutter pour l’obtenir.
Une question plus délicate, mais sans rentrer dans vos livres de comptes, comment vit financièrement un nouvel embouteilleur (sachant que vous travaillez à trois, avec vos deux neveux) ?
Encore une fois, ce n’est pas notre activité principale et les risques sont limités. Depuis le début, l’objectif était de grandir doucement mais sûrement et de réinvestir dans de nouveaux fûts. Je suppose que c’est une autre paire de manches si vous donnez tout ce que vous avez et que vous devez en vivre dès le premier jour. Ce n’est pas quelque chose que je conseillerais, ce qui ne veut pas dire que c’est impossible. Tout dépend de la qualité de fût à laquelle vous avez accès.
Parmi les maisons de négoce, il y a des mastodontes historiques (Signatory Vintage, Gordon & MacPhail, Berry Bros. & Rudd, Douglas Laing, Duncan Taylor…), vous regardez-vous parfois dans le miroir en vous voyant comme David contre Goliath ?
Je suis juste jaloux de ne pas avoir le même panel de fûts pour faire mes sélections. Je pense que si vous commencez à vous comparer avec les grosses écuries, vous devenez frustré très rapidement.
L’hégémonie écossaise sur l’embouteillage indépendant semble révolue. On voit l’émergence de grands pays spécialisés : l’Allemagne, les Pays-Bas ou votre pays, la Belgique. Pensez-vous que les conditions fiscales en soient les seules responsables ?
Je ne pense pas que cela soit la seule raison… Ceci étant dit, si l’Écosse devenait indépendante, nous verrions un changement fiscal et nous, petits indépendants, disparaitrions très vite.
L’offre se multiplie, les frontières s’estompent et le whisky est devenu un produit mondial. Pourtant, les consommateurs se sentent de plus en plus otages du prix du marché et de la spéculation, en plus de l’augmentation continuelle des prix. Pensez-vous que le whisky de qualité soit voué à être un produit élitiste ou ceci n’est-il qu’une passade ?
C’est un produit trop élitiste et trop spéculatif en Asie et en Russie à mon goût, et cela devient difficile pour nous, amateurs, de nous offrir des embouteillages plus rares ou plus anciens. J’espérais que la mise en avant du rhum et du gin allait détourner l’attention. Mais si cela se produit en ce moment, on n’en voit pas réellement les effets.
On a l’impression, depuis quelques temps, qu’il y a de moins en moins de distilleries « cotées », quel que soit l’embouteilleur. Pensez-vous que cela soit du fait d’une préservation des distilleries ou un choix délibéré ?
Qu’est-ce qu’une distillerie moins cotée ? Si Port Ellen était une si bonne distillerie, comme on peut le conclure des prix actuels des bouteilles, alors pourquoi Diageo l’a-t-elle fermée ? Et pourquoi y’a-t-il autant de stock résiduel ? Et prenez l’exemple de Braeval : peu connu, sans embouteillage officiel, produisant uniquement pour les blends. Pourtant, il y a quelques beaux embouteillages indépendants, surprenant la plupart des amateurs avertis. Je pense que les distilleries vendent de moins en moins de bouteilles aux indépendants et offrent de plus en plus d’embouteillages spéciaux.
Les embouteillages
Vous avez réalisé trois embouteillages en 2013, qui ont été plutôt bien accueillis par la communauté. Les notes données sur internet revêtent-elles un caractère important ?
J’ai toujours été admiratif des reviews dans lesquelles les connaisseurs décrivent toutes les notes qu’ils perçoivent dans un whisky. Je n’ai jamais été bon à cela. Je sens et je goûte un whisky, de préférence deux fois, à des moments différents. Je décide alors si je l’aime ou non. Si vous avez des samples de fûts similaires, c’est plus facile de comparer. Néanmoins, je pense que j’ai fait de bonnes sélections, mais comme « les goûts et les couleurs ne se discutent pas » (en français), je pourrais être le seul à apprécier le prochain embouteillage de Brachadair. Ceci étant dit, les bonnes reviews et les bonnes notes sont importantes et peuvent vraiment vous aider.
Le Braeval 21 yo est sorti sous votre bannière tandis que l’Arran et le Laphroaig l’ont été sous celle d’A.D. Rattray. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
C’est simple : c’est une décision de dernière minute à cause du coût et du temps nécessaire. C’était moins cher et plus rapide de faire un embouteillage via A.D. Rattray que de faire le nôtre. Mais, rétrospectivement, je pense que c’était une erreur. Si vous n’avez que 3 embouteillages et que deux d’entre eux ne portent pas votre marque, la visibilité est très réduite.
Comment avez-vous choisi A.D Rattray, comment s’est passée votre collaboration ?
Comme je l’ai dit auparavant, ce n’est pas facile de trouver des fournisseurs qui mettront votre étiquette sur une bouteille. Mais notre collaboration s’est bien déroulée et et c’est tout à fait possible que nous travaillons à nouveau ensemble.
On ne peut qu’être curieux. Connaissez-vous déjà vos prochains embouteillages ?
Pour terminer ma gamme de base, je dois compléter le panorama du whisky écossais. Pour les trois ou quatre prochains embouteillages, les régions sont connues. Pour ce qui est des distilleries, j’ai mes préférences. Mais ce que vous voulez et ce qui est réaliste sont souvent deux choses différentes.
Chacun a ses petites préférences pour déguster son verre de Single Malt. Qu’en est-il pour vous ?
Pas vraiment : comme beaucoup de gens, je sens d’abord, je goûte brut et j’ajoute de l’eau seulement si je trouve que c’est trop fort. Je ne suis pas un expert pour reconnaître les senteurs et les arômes mais je sais ce que j’aime. Ainsi, ma routine de dégustation est assez simple : sentir, goûter et si possible comparer à d’autres whiskys pour que je donne un score comparatif plutôt qu’un absolu.
Pour finir, avez-vous en tête un malt exceptionnel, celui que vous emmèneriez (presque) plutôt que votre nécessaire de survie ?
J’ai dégusté des whiskys fantastiques durant les 25 dernières années et souvent ils étaient grands. Non seulement à cause de leur parfum ou de leur goût mais aussi grâce aux circonstances dans lesquelles je les ai bus. Si j’avais bu les mêmes whiskys assis tout seul dans mon salon, cela n’aurait probablement pas été la même chose. C’est pourquoi je prendrais notre Braeval : pas seulement parce que je pense que c’est un excellent whisky (je pense qu’il l’est mais il y en a des meilleurs) mais parce que je suis fier de mon « bébé », le premier single malt de Brachadair avec notre étiquette dessus.
Un grand merci Patrick pour nous avoir accordé votre temps et nous vous souhaitons une belle suite dans votre aventure avec Brachadair.
Pour en savoir plus sur l’actualité de Brachadair, n’hésitez pas à visiter leur site : www.brachadair.com ou leur page facebook
4 Comments
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