L’arrivée du Glenlivet « Guardian’s Chapter » semble se fondre dans le cadre économico-culturel actuel. À l’heure où tout le monde peut voter pour le chanteur qu’il doit sauver de l’élimination, où les nouveaux parfums de yaourts sont soumis à l’appréciation du grand public, le whisky embrasse ici la même évolution laissant penser que le consommateur, même pour un produit de niche, est un roi. Si l’on peut se réjouir de cet aspect démocratique, il reste à voir quelles sont les terres qui lui ont été allouées.
Cet article ne prétend pas ouvrir le débat sur le choix effectué, et encore moins juger de la qualité intrinsèque du Glenlivet « Guardian’s Chapter » (sans l’avoir goûté ce serait un comble). Pour autant, il pose des questions quant aux implications de ce petit twist marketing, aux implications tripartites. Bien entendu, ce n’est pas l’opération d’une distillerie qui révolutionnera le marché mais elle sous-tend des rapports mouvants entre les participants. Cela serait-il vraiment un progrès ? Commençons par un bref rappel des faits.
« EXOTIC » : LE FRUIT DU NON-HASARD
Pernod-Ricard, propriétaire de la distillerie The Glenlivet, a convié ses « Guardians » (les fans de sa production) à voter pour le meilleur des trois prototypes proposés par le Maître-distillateur Alan Winchester : noms de code « Classic », « Revival », « Exotic ». Entre septembre et novembre, des événements ont été créés internationalement (de l’Australie aux États-Unis) afin que tous les Guardians puissent choisir le meilleur dram.
Une fois les votes effectués, via internet, le décompte a élu l’« Exotic » comme nouvelle édition limitée pour cette année 2014, dont seulement 500 bouteilles arriveront en France.
Pour mémoire, le principe développé à cette occasion était aussi de lier un produit avec ce qu’il inspirait, par rapport à sa dénomination.
Les dégustations se sont passées à la suite dans des ambiances étudiées (différentes tablées) et les verres n’étaient pas similaires.
De plus, sur la partie « Guardian’s » du site de Glenlivet ont été publiées des références culturelles diverses et variées, mettant en scène l’« Esprit » des trois whiskys dégustés.
Ceci étant dit, nous pouvons voir que le producteur, le consommateur et le liquide (son choix) sont dans des positions bien différentes.
Si l’on prend le cas de Glenlivet, il s’agit d’un bon coup marketing. Évidemment, « bon coup marketing » ne veut pas dire « mauvais produit » pour autant. En effet, ils peuvent se reposer sur l’avis de la majorité (la presse était aussi de la partie, comme Whisky Magazine) assurant une sécurité au niveau des notes et avis (caution « objective ») mais aussi des ventes. De même, ils offrent un accès au produit qui génère un véritable engouement tout en véhiculant une image calibrée et contrôlée du whisky (exotisme, envie d’ailleurs, épices et voyages).
On peut d’ailleurs raisonnablement se demander pourquoi une simple proposition d’échantillons 1-2-3 n’a pas été utilisée.
Quoi qu’il en soit, il faut saluer cette opportunité pour son envergure, son organisation et son efficacité à lui donner une approche plus impliquée des amateurs.
« EXOTIC » : L’APPEL DE LA NORME
La deuxième partie prenante est bien sûr le consommateur. Par son intervention, le processus de création aboutissant à la vente passe d’un système sélectif (l’avis tranché de professionnels) à un système électif dans lequel c’est la majorité (et non un quorum pensant) qui devient décisionnaire. Le maintien d’une frontière entre les deux groupes est pourtant profitable : les professionnels gardent le contrôle et la possibilité de mettre en avant leur savoir-faire et les consommateurs peuvent choisir individuellement au sein d’un recueil virtuellement plus élaboré. Si l’aventure est amusante, on peut se poser la question de la pérennité du troisième protagoniste, le breuvage. En effet, les prises de position de la distillerie s’effacent ici au profit du consensus. La surprise, les notes plus rares sont marginalisées car moins aptes à plaire au plus grand nombre. Ce processus formate donc, qu’il le veuille ou non, la palette artistique tout autant que l’essence de la distillerie. Le distillat peut se voir brimer et le consommateur se doit d’être vigilant sur l’illusion inhérente à cette position spécifique, qui se doit de rester exceptionnelle.
Ce NAS (sans mention d’âge, No-Age Statement), non-filtré à froid, de 48,7 % sortira aux alentours de 90 €. Le prix et l’absence d’âge sont aussi conformes aux tendances actuelles, ce qui est un peu surprenant pour une édition limitée dédiée à ses « gardiens ». Annonciateur d’une future ligne de conduite chez Glenlivet ? L’avenir nous le dira.
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