C’est ce que l’on appelle prendre le problème à la source. L’Impromalt Project va en effet tenter de créer des « super-orges » convenant parfaitement à la distillation du Scotch. C’est l’occasion rêvée de faire un petit point sur cette céréale capable de pousser aux quatre coins de la planète.
On a souvent l’habitude de l’appeler « malt ». Or, il s’agit de son nom lorsqu’elle a germé et que l’on a stoppé sa croissance. Avant cela, il s’agit tout simplement d’orge (Hordeum vulgare), la plus ancienne céréale cultivée. Avant d’être transformée afin de produire du whisky, l’orge doit être sélectionnée par les professionnels, qui, de nos jours, sont plutôt les producteurs de malt que des distilleries.
On utilise des épis à deux rangs plutôt qu’à six rangs aux grains plus massifs mais moins nombreux.
La différence importante est la teneur en azote qui est bien plus faible dans la première catégorie et qui va permettre une bonne présence d’amidon, et donc donner plus de sucres à transformer en alcool via les levures. Ceci s’explique notamment car les « deux rangs » sont plus facile à faire pousser sur des sols pauvres, sans apports d’engrais. De même, il existe l’orge de l’hiver et l’orge de printemps. Cette dernière a la préférence des producteurs. Semée en mars-avril, elle va être prise dans les moissons d’août ou de septembre. À l’instar des « deux rangs », elle va être de meilleure qualité.
Bien entendu la variété est un facteur non-négligeable. Certaines sont plus fragiles et possèdent des composantes différentes. Si on imagine aisément que les distilleries utilisaient de l’orge locale aux premiers temps du whisky, dès le XIXe siècle l’import fait rage et des cargos arrivent de toute part, notamment d’Europe de l’est.
Après la seconde guerre mondiale, le marché du whisky va encore exploser et les variétés d’orge vont se succéder. La plus emblématique reste probablement la « Golden Promise » notamment utilisée par Macallan et qui restera, jusque dans les années 80, une variété de choix malgré sa faible robustesse face aux conditions climatiques plus difficiles.
Ces dernières années, la course à la compétitivité a radicalement changé le mode de fonctionnement des distilleries. Aujourd’hui, le maltage de l’orge est souvent sous-traité à des sociétés industrielles spécialisées. Les cycles de rotation des variétés sur le marché sont devenus plus rapides, du fait des améliorations techniques mais aussi car la céréale est achetée aux quatre coins du monde, notamment en Afrique du Sud, en Inde, en Australie, où elle y est en général meilleur marché. Les producteurs d’orge écossais sont malheureusement tributaires des fluctuantes conditions climatiques, qui amoindrissent la résilience de l’orge de printemps. De plus, la SWA (Scotch Whisky Association) a annoncé une nouvelle augmentation des volumes de vente de whisky entre 2012 et 2013. Plus que jamais, l’utilisation massive d’orge nécessite une réflexion. À partir de ses observations, des investissements sont réalisés dans le développement de technologies de croisements, afin d’accroître le ratio rendement/prix, et d’atténuer la dépendance de l’industrie du whisky à l’importation de l’orge, ou de diminuer son coût. Ainsi, l’Impromalt Project semble vouloir atteindre ces objectifs.
Avec ses deux millions de livres (environ 2,42 millions d’euros) de budget couvrant cinq ans de recherches, le but affiché est de parvenir à produire suffisamment d’orge pour nourrir l’industrie du whisky tout en assurant son développement durable. Il sera notamment question d’identifier les gènes responsables de la bonne qualité des variétés de printemps pour les lier à celles d’hiver possédant un meilleur rendement et une vigueur supérieure. Il ne s’agira pas d’OGM mais d’un croisement d’espèces avec des gènes ciblés en amont.
Environ 40 % de l’orge produite en Écosse est dirigée vers l’industrie du whisky qui peut en consommer plus de 600 000 tonnes par moisson. Quand on sait que le marché du Scotch représente la grande majorité de l’export du Royaume-Uni (nourriture et boissons confondues), que les origines des céréales ne sont pas vraiment exposées (quid des producteurs écossais, dans la réalité), on peut comprendre qu’un tel projet pourrait stabiliser, en anticipant le futur, à la fois l’industrie du whisky mais également celles de la filière céréalière.
Qui se cache derrière le projet ?
À l’origine, nous avons l’apport du gouvernement écossais pour les probables raisons évoquées ci-dessus, de l’HGCA (partie céréalière du Conseil de développement agricole et horticole) un organisme indépendant cherchant à améliorer sa branche professionnelle (par des recherches pour la moitié de leur activité) et le BBSRC (Conseil de recherches de biotechnologie et de sciences biologiques) qui a été créé par le gouvernement pour supporter les recherches dans les universités et instituts. En outre, l’expertise de divers groupes a été apportée afin d’être plus efficace dans le domaine du croisement entre les différents plants.
Les recherches seront conduites au James Hutton Institute d’Aberdeen.
Si le projet est un succès, nous devrions donc avoir une super-espèce capable de suivre l’accroissement continuel de la consommation de malt tout en apportant un surplus d’activité aux paysans écossais. Pour ce qui est du whisky, il faudra attendre au moins 10 ans avant d’avoir les premiers résultats dans nos verres. Plus que jamais le whisky est devenu technologique, jusque dans ses composants les plus naturels.
4 Comments
Du Malt au Palais
19 avril 2014 at 19 h 35 minUn article de fond bien fait. Reste à voir si on va pas finir avec de l’orge transgénique dans notre malt ^^
Thomas
20 avril 2014 at 16 h 01 minMerci.
Reste à savoir s’il n’y en a pas déjà parce qu’on ne peut pas vraiment dire que les distilleries communiquent beaucoup là-dessus.
Daniel
20 avril 2014 at 21 h 01 minOn peut se poser la question de savoir s’il est d’ailleurs bien légal de ne pas communiquer à ce sujet. Autant que j’ai pu en juger, les étiquettes sur les bouteilles ne comportent aucune indication quant aux « ingrédients ». Je me demande s’il existe une loi spéciale concernant les spiritueux qui permettent de ne pas l’afficher, parce que sinon, en tant que consommateur, j’imagine qu’on est en droit de réclamer les indications.
Thomas
21 avril 2014 at 16 h 58 minA ma connaissance, seuls les allergènes doivent apparaître sur l’étiquette (et non la liste exhaustive ou non des ingrédients).
D’après le règlement européen n°1169/2011 paru fin 2011, on peut retenir ceci :
« Il convient d’inviter la Commission à poursuivre son analyse des exigences en matière d’information à fournir sur les boissons alcoolisées, compte tenu de leur caractère particulier. Ainsi la Commission devrait élaborer, dans un délai de trois ans à compter de l’entrée en vigueur du présent règlement , en veillant à assurer la cohérence avec d’autres politiques pertinente de l’Union, un rapport sur l’application aux boissons alcoolisées des exigences en matière d’information sur les ingrédients et d’information nutritionnelle ».
On rappelle qu’il s’agit d’un texte du Parlement Européen donc que les suites ne seront pas forcément mises en œuvre (ils disent d’ailleurs « devrait »).