Le 15 mars 2014, à l’occasion du 3e salon du whisky de Manosque, nous avons rencontré Amaury Markey, organisateur de l’évènement. Rencontre avec un personnage aussi généreux qu’expert en boisson maltée…
Bonjour Amaury. Histoire de faire un peu connaissance, pourrais-tu nous présenter ton parcours, ta formation et ce qui t’a amené à devenir caviste ?
Je m’appelle Amaury Markey, je suis né dans une famille passionnée par le vin. Depuis que je suis tout petit, mon père travaille dans le monde du vin. La particularité de la famille, c’est de ne pas travailler avec les représentants. On préfère aller sur le terrain, rencontrer les producteurs. Depuis que je suis tout petit, je fais le tour de la France avec mon père, pour visiter les domaines. Donc, afin de me professionnaliser, j’ai fait un BTS viticulture/œnologie.
Si le vin est la spécialité de la famille, comment en es-tu arrivé au whisky ?
Quand j’avais une vingtaine d’années, tous les mardis, avec les collègues, on s’achetait des belles bouteilles de whisky. On a commencé par les Aberlour 10 ans et compagnie, jusqu’à arriver au Lagavulin 16 ans. On était super heureux parce qu’on avait acheté la bouteille la plus chère du supermarché. C’est à cette période que j’ai commencé à être séduit par le whisky. Après, en rejoignant mon père et ma sœur qui officiaient déjà comme cavistes, je me suis intéressé à la trentaine de bouteilles qu’on avait en magasin et ça a été, en quelque sorte, une révélation. Cet univers m’intéressait énormément. On a donc cherché à le développer petit à petit. On a vite progressé dans l’univers du whisky, même s’il nous reste encore beaucoup à faire !
Est-ce que ton BTS viticulture/œnologie t’a été utile ?
Comme mon père ou ma sœur, c’est plus la passion que la formation en viticulture/œnologie qui m’a permis de devenir caviste. On apprend beaucoup plus sur le terrain qu’à l’école. La meilleure école, c’est de rencontrer des gens, échanger, déguster.
Au départ, Cave Conseil est une initiative de ton père. Aujourd’hui, vous avez quatre magasins dans le sud. Raconte-nous un peu l’histoire de votre enseigne…
Mon père travaille dans le vin depuis 35 ans. Quand j’étais petit, il avait une épicerie sur la place de Forcalquier. C’était une des premières boutiques de la franchise Cavavin. Ensuite, il a été antiquaire du vin à l’Isle-sur-Sorgues. Grâce à cette expérience, il avait une bonne connaissance du terrain, et surtout, il a noué beaucoup de relations avec les viticulteurs. Logiquement, il a essayé de vendre du vin à des cavistes. Bien souvent, ils étaient frileux. Donc, le meilleur moyen de vendre du vin, c’était d’ouvrir une cave. Il a donc franchi le cap en 2000 à Aix-en-Provence. Ont suivi une ouverture à Endoume (Marseille) en 2002, les Chartreux (Marseille) en 2003, Manosque en 2010 et la semaine prochaine, on ouvre une cave à Mazargues (Marseille).
Et ensuite ? Vous comptez vous exporter un peu hors de la région ?
La région c’est pratique quand même… Bon, on fournit quelques cavistes mais l’objectif, à terme, serait, pourquoi pas, de passer sur un système de franchise. Il faut tout de même voir dans quelles conditions cela est possible. On est dans un mode de fonctionnement très familial et ça n’est pas certain que ça soit compatible avec un système de franchise… En tout cas, ouvrir des enseignes à Lyon et Paris est une idée qui nous trotte dans la tête…
Qu’est-ce que la philosophie Cave Conseil ?
Qualité, authenticité, respect du terroir, pour le vin. On est tout le temps sur le terrain, une semaine par mois pour le vin, plusieurs fois par an en Écosse, pour ramener dans nos paniers de bons produits à partager. Faire partager des grandes choses au prix le plus juste, c’est notre leitmotiv.
Justement, en parlant de l’Écosse, depuis l’année dernière, vous vous êtes lancés dans l’embouteillage. Pour quelle raison ? L’offre actuelle ne vous convenait pas ?
L’embouteillage nous paraissait être la suite logique de notre activité. On vend beaucoup de whisky, on se développe bien, on commence à avoir une certaine expertise. Pour le vin, on passe du temps chez les viticulteurs. Il était normal qu’on reproduise le même schéma pour le whisky.
Pourtant, on constate que, contrairement à la Belgique, l’Allemagne ou encore les Pays-Bas, il y a très peu d’embouteilleurs indépendants en France… Pourquoi ?
À entendre les anciens parler, il y a des gens qui le faisaient il y a 10 ou 15 ans. Mais, avec le cours du whisky et la difficulté à trouver des bons fûts, ça n’est vraiment plus évident. Et puis, les gros importateurs vous freinent. Ils n’ont aucun intérêt à favoriser le développement de gens comme nous, parce qu’on leur prend du marché. Je suppose que dans d’autres pays, les importateurs sont plus petits et ont moins la mainmise sur les embouteilleurs qu’en France.
Comment se sont déroulés vos premiers voyages en Écosse et, surtout, comment avez-vous réussi à nouer des contacts avec les producteurs ?
C’est très simple : on y va vraiment à tâtons. On cherche des adresses, on va frapper aux portes. C’est long et compliqué. 95 % de nos tentatives restent vaines. On nous fait gentiment comprendre que nous ne sommes pas les bienvenus. Mais, avec le temps et à force de faire parler de nous, de rencontrer des gens dans le monde du whisky, on suscite un peu d’intérêt. Et puis, le fait d’avoir embouteillé un Glenfarclas Family Cask, ça nous a donné une grosse crédibilité. Nous ne sommes pas beaucoup au monde à l’avoir réalisé. Ça demande du courage et un sacré investissement, mais au final, on est très heureux d’avoir réussi ce coup. C’est quand c’est difficile que ça devient sympa.
En effet, c’est une sacrée performance ! Tu peux nous raconter les coulisses de cette aventure ?
Au départ, l’importateur français nous a dit que ça n’était pas possible. Mon père lui a répondu : « Je ne vous demande pas si c’est possible ou impossible, je vous demande de m’avoir un rendez-vous à la distillerie. » Après une bonne discussion, le rendez-vous était pris. Il se trouve qu’il y a 10 ans, mon père avait mangé avec George Grant et ils avaient passé un très bon moment. De plus, Kate Wright, la responsable marketing de Glenfarclas, a fait ses études à Aix-en-Provence. Toutes ces petites anecdotes ont joué en notre faveur. Le maître de chais nous a pris en main pour une visite/dégustation. Au départ, on a goûté des choses assez affreuses. Il voyait qu’on était connaisseurs et qu’on cherchait vraiment quelque chose de bien. Il nous a donc emmenés dans leur troisième chai, là où vieillissent les Family Cask. Évidemment, à cet endroit, on a trouvé notre bonheur.
Depuis quelques années, le marché du whisky s’affole. Il y a de plus en plus de NAS (Sans mention d’âge) et les prix deviennent prohibitifs. Dans ce contexte, quelles sont les perspectives, tant sur le plan qualitatif que sur le plan économique ?
Pour nous, les perspectives économiques sont plutôt positives ! Si les prix augmentent, ça n’est pas mauvais pour nous. Il y aura toujours de la demande, elle est même en pleine croissance. Par contre, au niveau qualitatif, en tant que consommateur, il commence à y avoir un gros problème. Même si on met en place tout un tas de techniques pour qu’un whisky arrive à maturité au bout de 5 ou 6 ans, je ne trouve pas ça très séduisant. Prenons un Kavalan par exemple : c’est très agréable à boire, mais il ne se passe pas grand chose en bouche. Il n’y a pas de complexité, ça n’évolue pas. Malheureusement, je crois qu’il va falloir s’y habituer. En ce moment, on est dans une période où on se dit que les whiskys jeunes ça se boit bien et que les blends c’est le top. On peut espérer avoir du mieux dans quelques années. Les distilleries s’agrandissent et tournent à plein régime pour refaire des stocks. Par contre, les distilleries artisanales, campagnardes, familiales sont en voie de disparition, au profit des grandes distilleries industrielles. Au niveau qualitatif, on revient vite sur des profils très typés.
Il y a une certaine uniformisation du goût pour séduire une plus large clientèle ?
Oui, tout à fait. J’ai de moins en moins de coups de cœur même si certains embouteilleurs indépendants continuent à sortir de bons fûts. Par contre, ça commence à prendre de sacrées proportions en prix. Pour le vrai passionné, c’est à la fois un monde qui peut être passionnant parce qu’il est en pleine ébullition, mais qui devient de plus en plus inaccessible. Je vois bien ma clientèle qui vit avec un salaire moyen et qui, à cause de moi, sont tombés dedans, commence à avoir du mal à acheter de bonnes bouteilles. Il n’y a pas grand monde qui doit être très heureux en cette période. Pour l’amateur de malt, ça va être difficile pendant encore une bonne quinzaine d’années.
Parlons maintenant du salon du whisky. C’est le troisième que vous organisez. Comment est née cette idée ?
On se développe bien sur le whisky et on commence à avoir une certaine notoriété. J’ai des clients qui viennent de Lyon, de Cannes, de Montpellier, des gens qui viennent d’assez loin pour me voir. On a toujours fait des dégustations occasionnelles qui ramenaient du monde. Dans cette optique, on a fait un premier salon qui était surtout une grande dégustation, entre nous. On a vu beaucoup d’engouement de la part de notre clientèle. L’année suivante, on a vu un peu plus grand en faisant venir des intervenants. Et puis, notre optique, c’est toujours de partager, de faire découvrir de belles choses. Le chef adore faire goûter des grandes bouteilles !
Sur cette nouvelle édition, qu’est-ce que vous présentez, qui sera là, comment cela sera animé ?
Cette année, on ne change pas les règles ! Un prix d’entrée abordable (ndlr : 8 euros) et une ambiance très conviviale et toutes les dégustations sont gratuites. Derrière chaque stand, il y a quelqu’un de très professionnel qui connaît bien les bouteilles. Soit du personnel de Cave Conseil, qui fait découvrir un assortiment choisi par nos soins, soit des intervenants qui proposent leur gamme à la dégustation. Pour la première fois, Suntory et Nikka sont présents et proposent de très belles bouteilles. La nouveauté de cette année, c’est l’organisation d’une MasterClass. Cela nous permet de faire goûter un Karuizawa, un Port Ellen, un Strathisla 40 ans ou encore un Littlemill des années 50 à notre clientèle pour une somme plutôt modique. On ne dérogera pas à notre éthique : le partage des bonnes choses !
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour les années à venir ?
Plein de fûts !
L’embouteillage est apparemment quelque chose qui vous botte vraiment !
Effectivement. Dans l’idéal, il faudrait en trouver quatre cette année ! Maintenant, j’ai des contacts et des perspectives sérieuses pour l’avenir proche. Mais, je n’en dirai pas plus !
Sinon, l’avenir, oui, c’est ouvrir de nouvelles caves d’une part, mais aussi embouteiller et importer sans passer par les circuits classiques. Au niveau des objectifs, en ce qui me concerne, c’est aller régulièrement en Écosse pour manger du haggis. Le full scottish petit déj’, c’est parfait pour moi !
On a tous notre whisky préféré, qu’il soit vieux, jeune, tourbé ou non… Bref, si tu étais un whisky, tu serais quoi ?
Un Bowmore Bicentary ou un Port Ellen. Mais c’est un peu prétentieux quand même. Plus sérieusement, je dirais un Glenfarclas. Ce sont des whiskys qui sont assez fins, agréables. C’est surtout ce que représente Glenfarclas. Une distillerie indépendante, qui se bouge bien, qui sort des circuits traditionnels, c’est ce qui me plaît bien.
Merci beaucoup, Amaury, de nous avoir accordé cette interview. Nous te souhaitons donc beaucoup de réussite et de flair pour tes futurs embouteillages !
Merci beaucoup !
3 Comments
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19 février 2015 at 8 h 36 min[…] voulez en savoir plus sur l’histoire de cet embouteillage, vous trouverez quelques infos dans l’interview d’Amaury Markey réalisée en […]
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25 juin 2016 at 7 h 32 min[…] avions réalisé une interview d’Amaury Markey en 2014. Depuis, les caves familiales situées dans le Sud continuent d’embouteiller régulièrement […]