Si le whisky écossais a l’avantage de la tradition et de la filiation avec les premiers artisans du marché, le whisky japonais tire désormais son épingle du jeu. Souvent récompensé, souvent loué pour ses qualités de fabrication, il fait office de denrée incontournable pour nous, amalteurs. Toutefois, on a vite fait de se perdre dans cet univers où marques, groupes et distilleries cohabitent sans frontières bien définies. Petite mise au point…
Alors que les prix flambent, notamment sur le secteur nippon, il était temps de faire un petit résumé du véritable panorama de ses distilleries. Cet article ne se veut pas être un exposé complet mais une présentation synthétique de ce monde méconnu. Par ailleurs, il est bon de rappeler que l’institutionnalisation du commerce du whisky date de 1923 avec l’entrée en lice de la première distillerie, Yamazaki.
Les distilleries fermées
Si on parle de whisky japonais, on n’est presque obligé de citer Karuizawa. C’est le phénomène absolu de ces dernières années, ces prix atteignant des sommets. C’est pourtant la plus petite distillerie produisant sur l’Archipel, ou plutôt qui produisait… Son histoire est assez courte. Fondée en 1955, elle commença par approvisionner le monde du blend avant de se tourner vers le Single malt en 1987. Fabriqué avec la célèbre variété « Golden Promise », sa réputation grandit rapidement. Karuizawa arrêta de produire en 2001 et les stocks ont depuis été achetés par Number 1 Drinks.
Hanyu a été fondée en 1941 par le descendant d’une lignée de producteur de saké. Il faudra attendre 1980 pour qu’elle produise du Single Malt mais faute de succès, elle s’arrêta de produire en 2000 puis fut détruite en 2004. Les stocks restant ont été déplacés à Chichibu et s’écoulent plutôt bien dans des séries limitées chaudement tarifées. Tout comme pour Karuizawa, le principe de série et d’esthétisme marqué en fait un des acteurs majeurs du marché actuel.
Après les « Stars » du moment, passons à une grande inconnue, Shirakawa. Fondée en 1947, elle a vu ses portes se fermer en 2003. Il faut être franc, on n’a peu de chances de goûter le whisky issu de cette distillerie. Non destiné à l’export, sans possibilité de production depuis plus de 10 ans… De surcroît la distillerie avait déjà stoppé la production de whisky quelques années auparavant pour se recentrer sur des alcools nationaux (saké et shochu). Il est par ailleurs difficile d’obtenir des informations précises sur la distillerie sans se trouver face à quelques incohérences. Quoi qu’il en soit, il existait des édition de Single Malts aujourd’hui introuvables.
Nishinomiya est un peu l’oublié du groupe Nikka. Fondée en 1962, cette distillerie de grain (principalement) a été fermée en 1999, date à laquelle les alambics Coffey ont été déplacés à Miyagikyo.Son objectif était avant tout de produire le grain nécessaire à l’élaboration du « Nikka from the barrel ». Mais jusqu’à l’arrêt de sa production il était l’unique fournisseur pour les sorties annuelles de Coffey Malt et de Coffey Grain. Kawasaki, située entre Tokyo et Yokohama, est une distillerie de grain qui ne produit plus. Seuls de rares fûts sont encore disponibles et sortent en édition collector. On peut aussi citer Kagoshima qui ne produit plus depuis 1984 tout de même. Toutefois le stock de fûts résiduel a été déplacé à Shinshu.
Les distilleries ouvertes et accessibles
Les groupes qui possèdent les distilleries forment des gangues imperméables au marché. Ainsi, chaque groupe doit fonctionner de manière auto-suffisante. Il s’agit de la véritable structuration des distilleries, une variante plus américaine qu’écossaise dans la prédisposition à utiliser des marques et non pas obligatoirement des distilleries comme argument de vente. Par ailleurs, nous n’évoquerons ici que les distilleries nipponnes sachant que les grands groupes possèdent également des distilleries étrangères.
Le groupe Ichiro’s Malt
Alors qu’il n’y avait pas eu de nouvelles distilleries depuis 30 ans, Ichiro’s malt (pour Ichiro Akuto le fondateur et petit-fils du distillateur d’Hanyu) a choisi d’implanter en 2004 une nouvelle distillerie, Chichibu, près de Tokyo. La petite nouvelle commence à se faire une place de choix sur le marché. Des Whiskies étonnamment matures pour un vieillissement très réduit et un véritable savoir-faire sous-jacent. Toutefois les prix, compte tenu des âges des distillats, ont de quoi rendre prudent.
Le groupe Nikka
Né en 1894, Masataka Taketsuru est considéré comme le père du whisky japonais. Pourtant, il ne sera pas le premier à ouvrir une distillerie. Le groupe Nikka possède désormais Yoichi fondée en 1934, qui produit un whisky en général délicatement tourbé et qui se décline dans une gamme officielle fournie. De la même manière, Miyagikyo, qui a vu le jour en 1969 est à la fois une distillerie de malt et de grain. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il s’agit des deux seules distilleries détenues par le groupe Nikka. Elles permettent donc de produire tous ses produits sans exception aucune (depuis la fermeture de Nishinomiya).
La gamme Taketsuru est un blended malt, c’est à dire l’assemblage de deux single malt à savoir Yoichi et Miyagikyo. Dans le même esprit, on retrouve les blended malt Pure Malt (white, red, black) ou encore le « From the barrel » qui est un blend (avec ajout du grain de chez Miyagikyo désormais).
Pour finir, si on trouve des Single Cask de qualité chez Miyagikyo et Yoichi, on retrouve aussi des produits haut de gamme annuels à savoir des Coffey Malt et des Coffey Grain. Dernièrement un Coffey grain à 45% s’est vu ajouté à la gamme permanente offrant donc un whisky de grain de Miyagikyo à prix réduit.
Le groupe Suntory
Voici donc le troisième groupe mondial du whisky, fort de ses acquisitions japonaises et étrangères. Formé par Shinjo Torii, il se distingue par l’ouverture de la première distillerie japonaise, Yamazaki en 1923. Celle-ci possède une gamme étendue à la fois permanente et ponctuelle (single casks). Hakushu fut construite en 1973 (soit 4 ans après Miyagikyo du concurrent Nikka) et était la dernière distillerie construite au Japon avant l’arrivée de Chichibu. Pour compléter ce panel de chez Suntory, on retrouve Chita, la distillerie de grain. Sa fonction est la même que celle qu’avait Nishinomiya, c’est à dire fournir du grain pour les produits d’assemblage du groupe. En effet, les fameux Hibiki de chez Suntory sont des blends qui utilisent le grain produit par cette distillerie proche de Nagoya. Par ailleurs il existe un Chita Single Grain âgé de 12 ans et titrant à 43% (qui devrait bientôt être disponible dans nos contrées). Suntory est de plus en plus tourné vers l’International dans son développement.
Les whiskys peu représentés
Voilà un trio peu représenté et qui s’éloigne un peu des traditionnels whiskys nippons que nous avons l’habitude d’observer chez la plupart des cavistes.
On peut déjà évoquer la distillerie appartenant à Eigashima, fondée en 1888, qui est connu sous le nom de White Oak. Cette distillerie a été la première à avoir un permis de distillation en 1919 mais elle est surtout spécialisée dans le Saké et le Shoshu. En 1984, alors qu’elle n’exporte pas du tout jusqu’alors, elle se voit relancer par la construction d’une distillerie moderne, spécialement dédiée au whisky. On retrouve donc des productions de blends pour le marché intérieur mais aussi un Single Malt (Akashi) ou encore un blended malt, Tokinoka.
De même, Isawa est la marque de la distillerie Monde Shuzo (qui est surtout actif sur le marché du vin). On retrouve une déclinaison entre un blend (malt/riz), un 10 ans et un millésimé 1983.
Ensuite, Togouchi, marque de Chugoku Jozo, propose des blends uniquement (12 ans, 18 ans et le Premium). Toutefois, on ne peut pas parler de distillerie puisque leur procédé est à part. En effet, il s’agit d’importer des whisky de malt écossais et des whisky de grain canadiens afin de réaliser un travail d’assemblage. Il est tout de même considéré comme japonais puisqu’il est « naturalisé » lors de son passage en douane.
Enfin, on peut parler du cas « Ootori ». S’il est annoncé comme appartenant à Mercian, il faut bien comprendre qu’il s’agit de fûts issus de la distillerie Karuizawa (peut-être pas les plus fameux par ailleurs).
Des distilleries inaccessibles ?
On pourrait penser que la réussite commerciale des whisky japonais et leur nouveau statut dans le cœur des collectionneurs ouvrirait toutes les portes. Pourtant, certains produits restent très délicats à se procurer. Je ne parle évidemment pas de produits spécifiques au Japon pour une distillerie facile d’accès, mais bien de distillerie dont on ne connaît que très peu de choses. Chita, la distillerie de grain citée chez Suntory n’est malheureusement pas disponible pour le moment.
Il y a également l’exemple de Fuji Gotemba, fondée en 1972, qui appartient au groupe Kirin, que l’on connaît surtout en occident pour ses bières. La gamme est très réduite puisqu’elle comprend un seul Single Malt, un 18 ans, réduit à 43%. Par ailleurs, la distillerie travaille aussi par blending.
On peut surtout ajouter Shinshu. Son nom ne vous dit probablement rien mais la société détenue par Hombo Shuzo Ltd (spécialiste du Shochu) produit des whisky que l’on entraperçoit désormais en occident à savoir Mars Whisky et Komagatake. Sa gamme semble assez riche, passant du blend au single malt et permettant même l’arrivée de Single Cask.
On peut supposer que l’engouement pour Shinshu (Fuji Gotemba semblant plus restreinte) se développe dans quelques temps surtout que des importations semblent enfin nous permettre d’avoir des accès français.
Depuis peu, ils sont d’ailleurs disponibles en exclusivité chez Uisuki.com, un shop spécialisé dans le whisky japonais.
Les différentes gammes de whiskys japonais forment des typologies particulières. On trouve des distilleries fermées qui ont gagné leurs gallons de whiskys premium, une structuration du marché qui s’articule principalement autour de deux groupes (Nikka et Suntory) mais qui laisse de la place pour d’autres produits. Enfin, il s’avère que les quelques distilleries qui n’étaient pas du tout visibles jusque là profitent de l’engouement autour du whisky de l’archipel afin de s’insérer doucement (ou ponctuellement) dans le champs des whiskys disponibles.
7 Comments
Benjamin ALEXANDRE
3 octobre 2014 at 17 h 41 minSuper article. Synthétique et enrichissant.
Je vous ai découvert depuis peu, et vous n’êtes pas nombreux sur le web à proposer des écrits sur les malt avec autant de contenu. Et totalement indépendant !
En te temps que caviste, c’est très intéressant de vous suivre. Entre nouvelle sortie, article de fonds, dégustation… Vous êtes des indispensables pour moi ! Afin de répondre au mieux à des clients toujours plus passionnés et pointilleux.
Slàinte mhath !
Alex
4 octobre 2014 at 22 h 50 minBonjour Benjamin. Voici le genre de commentaire qui recharge les batterie et qui nous pousse à continuer et à innover ! Merci beaucoup !
Sláinte !
Isawa -10yo - 43% - Monde Shuzo | Whisky and Co
2 avril 2015 at 8 h 45 min[…] peu connue (voir notre focus sur le whisky japonais), Isawa connaît trois versions, dont celle-ci qui forme l’intermédiaire entre le blend et […]
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