Sébastien et Nicolas Julhès sont les gérants d’une épicerie familiale, basée dans le dixième arrondissement de Paris. Leur passion les a amené à réaliser un de leurs rêves : créer une distillerie à Paris. Rencontre avec Nicolas.
Bonjour Nicolas. Pouvez-vous nous faire un petit historique de votre entreprise familiale ?
À la base, mon père travaillait dans une boulangerie industrielle pointue. Après quelques temps, il a ouvert une épicerie et, étant donné le quartier, il vendait beaucoup de produits du monde, notamment d’Europe de l’Est. À la suite de ça, nous avons continué dans une logique “gastronomie”, en reprenant une fromagerie juste à côté. Nous avions déjà une certaine culture dans ce domaine étant donné que ma grand-mère était productrice de fromage de chèvre. Aujourd’hui, nous avons toujours ce une épicerie traditionnelle, bien que nous ayons mis l’accent sur les spiritueux.
Quand on rentre dans votre épicerie, le rayon spiritueux est impressionnant, bien plus que chez la plupart des cavistes. Pourquoi avoir développé ce secteur ?
Quand on a découvert les spiritueux, notamment le whisky, ça a été un vrai coup de foudre. On a été impressionné par la largeur du spectre aromatique, fasciné par la diversité de goûts. Je me suis dit à ce moment : “Je veux vendre du whisky.” C’était il y a environ 15 ans. On a essayé de commercialiser du whisky, sauf qu’en étant étiquetés “fromager/épicier”, c’était compliqué. On a essayé de procéder comme avec le vin : proposer aux éventuels clients de déguster. Évidemment, pour le whisky, ça n’était jamais l’heure, jamais le moment.
C’est à ce moment que vous avez commencé à proposer des associations ?
Tout à fait. On a constaté que les associations whisky/fromage étaient les plus rigolotes qu’on pouvait réaliser. Ça permettait de parler de whisky à des gens qui avaient des a priori et qui n’auraient jamais goûté. Donc on s’est engagés là-dedans, et ça a plutôt bien fonctionné. Le concept a plu à Diageo et on a commencé à devenir consultants pour l’industrie du whisky. Ça a été une vraie aubaine et surtout, ça a nourri et développé notre passion pour les spiritueux. On a pu apprendre beaucoup sur la production, le marketing et la commercialisation.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à la technique de fabrication des spiritueux ?
Pour être honnête avec les clients, il faut maîtriser son sujet. La formation doit être permanente. Je lis quotidiennement sur les spiritueux et sur leur histoire, leur fabrication, etc. De plus, j’ai poussé la curiosité plus loin en faisant des stages de distillation ou en participant à des groupes de réflexion sur le vieillissement des spiritueux.
C’est de là qu’est venue votre idée de monter une distillerie ?
Au départ, c’était un rêve. Un truc auquel on pensait quand on refaisait le monde. Et puis, dans les années 2000, le principe de micro-distillation arrivait des États-Unis. Cette vision de la production des spiritueux était très intéressante car elle remettait en cause beaucoup de choses et apportait une vision nouvelle sur la distillation. Dans le même temps, on avait fait l’acquisition d’un local à Paris qui n’avait aucune mitoyenneté. On avait donc le local, la connaissance en terme de réseau, de technique et une vision assez large du marché qui va de la production jusqu’au client final. Il y a cinq ans, on s’est dit : « On y va ! » On a commencé à vraiment étudier le projet pour décider, un an plus tard, qu’on créerait une micro-distillerie à Paris.
Il vous a donc fallu quatre ans pour obtenir le droit d’ouvrir une distillerie à Paris ?
Au début, on nous a dit que ça n’était pas possible, et même que c’était interdit. Pendant quatre ans, on a bataillé et on n’a rien lâché. On a eu notre numéro de distillateur le 4 juillet 2013. Petit clin d’œil aux États-Unis, pays d’où vient l’inspiration pour le projet.
Quelles ont été les principales difficultés pendant ces quatres années ?
On voulait que notre distillerie soit à Paris. C’était plus qu’une évidence, car c’est l’âme du projet. La micro-distillerie doit être inventive, innovante et remettre en cause des choses établies. Paris semblait être le meilleur terroir pour faire ça. En France, on identifie le terroir comme la terre. Sauf que c’est bien plus que ça. Le terroir, c’est l’influence de la terre, du climat, certes, mais c’est aussi la culture des gens. Et pour être innovant dans la distillation, quel meilleur endroit que Paris et sa multi-culturalité ? Sauf qu’installer une distillerie à Paris a été un parcours du combattant. Même s’il n’y a pas de process établi, comme pour un permis de construire par exemple, dans les régions où il y a une culture de la distillation comme dans le Gers, les gens sont au courant des démarches à entreprendre. À Paris rien n’est simple, et les gens ne sont pas du tout au fait sur les réglementations. On pourrait se dire qu’avec l’Internet, il est facile pour eux de trouver des réponses. Sauf que, dans notre cas, c’était pire que tout. Quand on cherche des renseignements sur la réglementation de la distillation sur l’Internet, on tombe sur des lois qui sont du même cadre que la raffinerie de pétrole… C’était très compliqué de faire comprendre aux gens qu’on n’était pas dans la même catégorie de distillerie.
À propos, cela n’a pas été trop difficile de trouver des partenaires financiers ?
La majeure partie de gens pensent que faire de l’alcool est interdit, et nous voient déjà comme Al Capone… Quand on commence à chercher des partenaires financiers en leur disant qu’on veut créer une distillerie, au départ on nous répondait : “On ne peut pas financer quelque chose qui est illégal !” À Cognac, il y en a un paquet de distilleries, et ça n’est pas illégal ! Ça a été un véritable parcours du combattant.
Une partie de votre projet sera financée par le crowdfunding. Pourquoi avoir opté pour ce mode de financement ?
Premièrement, le site KissKiss BankBank est voisin de notre épicerie. Nous sommes du même quartier. Ensuite, l’idée de fédérer une communauté autour de notre projet nous a paru intéressante. La Distillerie de Paris sera un lieu d’échange et de partage, ce qui nous semble en parfaite adéquation avec l’esprit du financement participatif.
[pull_quote_right author= » »]On invitera des chefs pâtissiers, des distillateurs de cognac, d’armagnac, de whisky, des chimistes, des physiciens, des gens qui viennent de la parfumerie…[/pull_quote_right]
Vous nous disiez que l’avantage de la micro-distillerie était sa propension à l’innovation. Vous allez essayer de « dépoussiérer » le métier ?
Absolument pas, nous n’avons pas cette prétention là. En fin de compte, notre action s’appuie sur la culture de la distillation du rhum, du whisky, de l’armagnac, de la tequila. Mais surtout, on est absolument fascinés par le savoir-faire français de distillation et d’élevage, et notamment celui de la ville de Cognac, qui est selon moi la Mecque des spiritueux.
C’est fort de toutes ces influences pour lesquelles on a énormément de respect qu’on va essayer de répondre à des problématiques auxquelles les AOC ne peuvent pas répondre.
Par exemple, une fois on discutait avec quelqu’un à Cognac. On lui a demandé : « Mais, pourquoi vous faites comme ça ? » Il nous a répondu : « Parce qu’on a toujours fait comme ça ». Avec la Distillerie de Paris, on sera dans une espèce de zone de liberté qui permettra de remettre en cause les choses et surtout, d’aller explorer de nouvelles méthodes, de partager et d’expérimenter. On invitera des chefs pâtissiers, des distillateurs de cognac, d’armagnac, de whisky, des chimistes, des physiciens, des gens qui viennent de la parfumerie. On avancera avec beaucoup de modestie, avec beaucoup de respect pour les AOC, en invitant toutes les sources d’influences pour faire naître de nouvelles idées. Ça sera un bouillonnement d’énergies créatrices.
Au niveau de la technique, pouvez-vous nous parler un peu plus en détail de l’alambic choisi ?
On a opté pour un alambic Holstein, 400 litres. On s’est adressés aux Écossais, aux Anglais, aux Charentais, aux Espagnols et aux Allemands. C’est le pragmatisme allemand qui nous a convaincus. Là-bas, on n’a pas essayé de nous vendre quelque chose parce que « c’est ce qu’il y a de mieux ». Les Allemands nous ont écoutés, et surtout, ont eu une approche d’ingénieur par rapport à notre projet. Finalement, on est partis sur un alambic adapté à l’expérimentation. On peut produire un alcool extrêmement dense, extrêmement puissant, et en même temps quelque chose d’extrêmement fin et délicat. On pourra donc poser des problématiques : quelle est la part liée à la fermentation, la part liée à la distillation, au vieillissement ? On reste dans notre logique d’expérimentation.
À ce propos, qu’allez-vous distiller ?
Au début, on fera du gin, de la flavoured vodka, de la vodka, des eaux de vie de vin, du rhum et du grain. La vodka n’est pas l’alcool le plus intéressant gustativement. Par contre, à produire, je pense que c’est une très bonne école. L’enjeu dans ce spiritueux, c’est la réduction. La réduction est un élément dont on parle très peu mais qui est extrêmement compliqué. On a quelques plans de réflexion, grâce à la possibilité de produire en toute petite quantité, pour réduire les eaux de vie de manière rigolote.
Quoi qu’il en soit, on ne se limite pas du tout. La plus grande partie de la production sera à base de grain. Ensuite, on travaillera de manière saisonnière autour du raisin, juste après la période des vendanges. Et puis, on aura le rhum.
Quelles seront vos premières réflexions sur la distillation, du moins au départ ?
Il y a beaucoup de choses à explorer sur le grain. Le travail a été grandement défriché grâce à la micro-brasserie, aux États-Unis. Il y a une recherche sur le malt qui a été faite et qui est complètement hallucinante, sur toute la gamme de maltage et de la torréfaction des grains de très blanc à très noir. On pourra également travailler sur des céréales un peu différentes, comme le quinoa ou le sorgho. Il reste plein de sources d’amidon à explorer !
Ensuite, il y aura le gin. Les gens disent que c’est à la mode, mais, pourquoi tous les distillateurs font du gin, bien plus que c’est parce que c’est à la mode ? Parce que c’est funky à faire ! C’est une sorte de cuisine, on fait notre petite recette, on ajoute ce qu’on veut. La production du gin est assez immédiate et les limites à la créativité sont quasiment inexistantes. Un gin travaillé avec des jus tourbés peut être très intéressant et ça n’a que très peu été exploré pour le moment.
Concernant le rhum, on pourra également pousser l’expérimentation, notamment grâce à notre alambic. Par exemple faire des rhums type grand arôme, associés à des rhums avec distillation de type colonne créole, faire du pot still, etc. On pourra vraiment switcher d’une technique à l’autre pour pousser l’expérimentation.
Pour le vieillissement, on a une idée un peu fun : louer des petits espaces dans la cave de l’opéra Garnier ou celle de l’arc de triomphe, ou pourquoi ne pas faire un truc dans la Tour Eiffel !
Des expérimentations sur le vieillissement sont-elles prévues ?
On fera vieillir un peu dans le local ici. On a une autre idée, un peu fun, c’est de louer des petits espaces dans des lieux des hors du commun comme par exemple la cave de l’opéra Garnier ou celle de l’Arc de triomphe, ou pourquoi ne pas faire un truc dans la Tour Eiffel. Je n’ai encore rien entrepris dans ce sens, mais c’est une idée qui me plaît ! J’adorerais également louer des espaces dans des péniches. Ça permettrait de faire vieillir les spiritueux dans un endroit où l’alcool n’est jamais en repos, et donc vieillit plus vite.
En parallèle à cette idée un peu expérimentale, on est en train de fabriquer un chai de vieillissement, en dehors de Paris. Je voulais un chai humide sans en avoir l’odeur ou l’atmosphère. Je n’aime pas du tout le côté très saturé, sous-bois, humus, champignon, mais en même temps, le bénéfice du chai humide est indéniable. Pour ça aussi on pense avoir une solution. Quand on se balade en forêt, que ça sent l’humidité, le sous-bois, c’est un peu pesant, jusqu’au moment où on arrive sur les bords d’une rivière. D’un seul coup, l’air est plus pêchu, ionisé, on sent qu’il y a une espèce de vivacité. Notre chai sera construit autour d’un ruisseau, avec un rack de fûts de chaque côté de celui-ci. Par conséquent, on aura le bénéfice d’un chai humide mais avec un air frais amené par l’eau vive du ruisseau.
La Distillerie de Paris sera un lieu de production et d’expérimentation. Comptez-vous également utiliser cet outil à des fins de formation ?
Effectivement, on espère que la Distillerie de Paris sera un endroit de formation et, peut-être, de communication. La formation sera nécessaire au financement du projet et à sa rentabilité. Le lieu et l’outil sont très adaptés à la pédagogie. Dans le même endroit, il y a la fermentation et la distillation. On a également fait installer la lumière dans l’alambic pour qu’on puisse voir ce qu’il se passe à l’intérieur. Les gens pourront vraiment se rendre compte. On est partis de céréales, on est arrivés à un jus, que ce jus vit, pour au final devenir un spiritueux.
Le début de la production est prévu pour quand ?
L’alambic sera livré entre le 15 et le 30 juillet 2014. Les délais sont souvent bien tenus, à tel point que parfois le travail est terminé avant la date prévue. Il y a une semaine d’installation, de réglages et de mise au point. Ensuite on commencera la production au début du mois d’août, avec la distillation de grain.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ?
J’ai une vision des spiritueux, une passion, qui est animée par le partage et la pédagogie. J’espère que la Distillerie de Paris sera ce lieu fédérateur, qui rassemblera passionnés et professionnels du goût autour d’une même thématique : la découverte et l’innovation.
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Si vous souhaitez participer au financement du projet, rendez-vous sur KissKiss Bank Bank ! Les contreparties sont très intéressantes !
Vous pouvez suivre l’actualité de la Distillerie de Paris sur leur page Facebook.
5 Comments
stf92
28 juillet 2014 at 20 h 00 minEn fait ils vont surtout produire de tout sauf du whisky. Dans un premier temps en tout cas. Peut être plus simple de faire du Gin ou du Rhum. J’espère qu’on aura le droit à des produits de qualité et accessible et que « l’étiquette Paris » ne sera pas le seul argument de vente. Mais de voir ce que va donner cette expérience.
Alex
28 juillet 2014 at 23 h 01 minNon non, il le dit lui même : « La plus grande partie de la production sera à base de grain. » Vu le personnage et sa connaissance des spiritueux, l’objectif est clairement de faire des produits de qualité, tout en innovant. L’étiquette « Paris » sera vu par certain comme un argument marketing, alors que pour d’autres, juste une information sur le terroir, comme « Cognac » ou « Islay » et j’en passe. En tout cas, la distillation commence bientôt ! On devrait avoir des retours prochainement sur la qualité du distillat 😉
stf92
29 juillet 2014 at 19 h 47 minVous allez essayer de suivre ça j’espère, et retourner le voir dans quelque temps?
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