Glenfiddich vient de mettre en place sa Glenfiddich Gallery. Il s’agit d’un portail de vente en ligne destinée à proposer les fûts les plus rares issus de la distillerie du Speyside. Un lieu agréable mais codifié selon les principales voies d’évolution du marché du whisky. Pour amalteurs curieux ou fortunés uniquement…
Glenfiddich est un des emblèmes de l’industrie du whisky. Pourtant, auprès des amateurs avertis, la distillerie ne fait pas forcément office de parangon gustatif.
L’ouverture de la Glenfiddich Gallery est l’occasion de voir l’apparition de stocks anciens mais également de percevoir la communication de la firme.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je vous propose de voir ce que Stella David, PDG de William Grant & Sons (qui détient Glenfiddich), disait à propos de cette initiative :
« Notre ambition avec la Glenfiddich Gallery est de créer une expérience de vente en ligne vraiment luxueuse qui ouvre notre monde extraordinaire du whisky rare et exclusif. Nous avons conçu cette expérience pour qu’elle soit bien plus qu’un simple endroit où l’on achète du single malt. Nous voulons qu’elle soit la destination définitive pour celui qui veut offrir un cadeau de luxe ou le connaisseur de whisky, cherchant une expression exceptionnelle et premium sur laquelle ils peuvent estampiller leur propre individualité« .
Ce discours a le mérite d’être clair et correspond au nom du site, s’inspirant de la galerie d’art. Dans l’inconscient collectif, cela apporte un aspect hype et huppé tout comme la sensation d’être dans l’appropriation individuelle d’une œuvre vouée à être plus qu’un produit.
Stella David poursuit ainsi : « En amenant nos whiskys les plus rares à une nouvelle dimension de luxe, la Glenfiddich Gallery représente un nouveau jalon dans notre histoire. Nous avons créé le marché international du single malt en 1963 quand Sandy Grant Gordon a exporté pour la première fois Glenfiddich aux Etats-Unis. Plus de cinquante ans plus tard Glenfiddich faire encore partie d’un business familial et nous continuons de sortir nos expressions de manière à continuer de donner à nos consommateurs des expériences mémorables de single malt. La Glenfiddich Gallery est à la fois innovante et mémorable, et délivre sans aucun doute quelques whiskys parmi les plus rares et les plus magnifiques que nous ayons produits« .
Encore une fois, le message délivré ne laisse que peu de doutes. Il s’agit de générer un nouveau standard comme, historiquement, Glenfiddich a su le faire. Le plus triste est qu’ils ont probablement raison étant donné les mouvances actuelles. Explications.
Présentation générale
De manière surprenante, lors de l’entrée de sa date de naissance, on apprend que les livraisons ne se feront que sur le territoire britannique. On entre sur une musique douce avec des images en gros plans de bouteilles. Le shooting est raté mais on arrive rapidement sur l’image des produits, parfaitement mise en place, et permettant de naviguer dans les grandes sections du site : les whiskys rares et le packaging personnalisé. Mais on y reviendra.
A propos du site et de la sélection des whiskys, on a quelques mots de Brian Kinsman, le maître distillateur dans la section « about » : « J’ai choisi chacun de ces extraordinaires whiskys pour leur unique profil de goût ou leur finish innovant. Chaque malt rare est différent d’un autre, offrant un choix perpétuellement changeant de whiskys de 18 à 50 ans pouvant avoir un finish incluant un fût de vin de Bordeaux ou un fût neuf« .
Rien de bien nouveau sous le soleil donc puisqu’il s’agit simplement de mettre en avant une sélection aux petits oignons réalisée par un expert.
Le profil du dégustateur : une fausse délimitation
La première section que l’on retrouve est un mini-questionnaire de quatre interrogations proposées paraît-il par Brian Kinsman.
Mais le diraient-ils si c’était une initiative de John de la Compta ? Passons.
On doit donc affirmer si l’on préfère les vins blanc légers ou les robustes vins rouges, les fruits d’été ou les agrumes. Puis on nous interroge sur nos habitudes alimentaires : épicé intense (comprendre curry, piment…) ou épicé subtile (aromates…). Enfin, on nous demande si l’on préfère le fromage ou le dessert.
Autant dire bon courage pour trouver son équilibre, surtout que le curseur n’est pas d’une précision chirurgicale.
Une fois le résultat obtenu, on obtient un ensemble d’informations assez bien pensées. On commence par un descriptif de son palais, définit par deux adjectifs. Sur ce point c’est un peu la foire et on peut difficilement s’y fier à moins d’avoir des préférences plus que marquées. Mais je suppose que vous l’aviez déjà compris à la lecture des éléments à sélectionner.
On peut bien sur partager cette informations sur Facebook. Vous pourrez ainsi fièrement faire trôner votre profil made in Glenfiddich à côté d’autres informations très utiles comme « J’ai fini mon sandwich », la vidéo d’un chaton jouant avec un chien et les photos publiées par mamie Germaine.
Plus bas sur la page, on voit également une carte des saveurs en nuage de points, ciblant votre profil. Une détermination visuelle parlante bien que l’on ait toujours du mal à valider le contenu du test.
Au milieu de tout cela, vous aurez évidemment une short-list des whiskys qui pourraient vous convenir dans le shop. A première vue, c’est cher voire très cher mais le principe ludique développé ici est assez amusant.
Vous pouvez donc faire un tour dans cette section si vous gardez bien en mémoire qu’il ne s’agit que d’un ersatz de détermination de profil, à ne pas prendre trop au sérieux.
On l’a vu l’intérêt pour le consommateur demeure limité. Pour Glenfiddich, cela pourrait être un bon indicateur des profils types des visiteurs de leur site web.
A l’heure où les distilleries commencent à demander aux consommateurs leur avis sur les choix des futures bouteilles (Glenlivet Guardians par exemple), où les repositionnements marketing sont devenus plus cruciaux que jamais (cf. Mortlach et sa gamme officielle), des archétypes spécifiques pourraient naître et les distilleries pourraient infléchir leurs gammes sur la base de tels datas.
Le risque sous-jacent est de tendre au consensus et à l’absence de choix des professionnels qualifiés sous couvert d’une baisse du risque commercial.
Loin de moi l’idée de faire dans la Science-Fiction paranoïde mais le contrôle, que ce soit dans les process ou l’image, est devenu un point névralgique pour les distilleries ou plutôt les marques de whisky.
Le packaging sur mesure : un point de vue client-centré
Si vous pourrez utiliser quelques modèles prédéfinis, la Glenfiddich Gallery vous permettra avant tout de faire vos propres choix esthétiques.
On commence bien entendu par les gammes de couleur qui vont habiller la boîte Glenfiddich ainsi que les éléments apposés sur la bouteille.
On opte alors pour un nom personnalisable pour rendre l’expérience encore plus individuelle.
Enfin, on peut faire graver un message à l’intérieur du coffret, ce qui sera notamment très utile pour les cadeaux.
La personnalisation est indéniablement sympathique. De l’autre côté du miroir, c’est nous rendre possesseur d’un objet unique, d’être dans l’exception et donc d’entrer dans le domaine du privilège du luxe. Outre la légitimité de prix plus élevés pour cette attention particulière , cela pourrait avoir un effet régulateur du marché de seconde main.
Si on prend l’exemple d’un whisky rare. En temps normal, des enchères auraient pu voir son prix augmenté.
Toutefois, la personnalisation à de quoi faire hésiter. Le vendeur voudra t-il s’en séparer ? Un acheteur voudra t-il d’un message du type « Pour fêter notre 20ème anniversaire de mariage, Je t’aime mon ourson en sucre » ?
Il est donc logique que ce cocooning du marché d’exception recentre les valeurs hautes sur les marchés de première main. D’une part, via la dimension intimiste autorisant certains prix, d’autre part via la baisse de l’intérêt des reventes ultérieures.
Le packaging devient assurément un enjeu de l’industrie du whisky.
Le choix des bouteilles chères : Le futur de l’embouteillage officiel ?
On a alors deux sections dédiées aux bouteilles pouvant être acquises.
Dans les whiskys rares, on possède tout une galerie d’images de bouteille standard aux couleurs marquant le fût ayant contenu le whisky.
On peut bien sur trier par prix, année et degré ou encore filtré par tranche de prix, fourchette d’âge, type de saveurs (au format du profil de dégustateur), type de fûts et nombre de bouteilles restantes.
Disons-le d’emblée, les tarifs sont quand même très élevés. Le moins cher est un refill Oak à 390£ soit presque 500€ tandis que la plus onéreuse est un 1958 sherry butt à 100 000£ soit 126 000 euros. On peut également avoir des compléments d’informations sur chacune des sélections de Brian Kinsman.
Les quatre bouteilles ultra-premium ont par ailleurs une section dédiée, « Platinum » assurant qu’il y aura des options de packaging premium. On a connu plus explicite.
Si la représentation très colorée est plutôt pertinente, le niveau des prix annoncés est tout bonnement ahurissant. Toutefois, ils sont annonciateurs de ce que pourrait devenir la premiumisation des distilleries.
En effet, on sait pertinemment que la raréfaction des ventes de bons fûts aux indépendants suit son cours. Les distilleries ont bien saisi que de conserver leurs fûts permettaient de maîtriser les prix et à terme de couper leur marché en deux. Des jeunes whiskys ou whiskys sans-âge prendront désormais les tranches de prix basses et intermédiaires.
Les whiskys âgés et millésimés prendront alors des valeurs « Platinum » afin d’atteindre la stratosphère financière.
Ce modèle économique bi-partite semble cohérent avec les volontés d’expansion de masse et d’augmentation du caractère luxueux des produits maltés.
Espérons simplement que cette tendance reste à l’état embryonnaire.
Comme j’ai pu le dire en préambule, le nouveau site de Glenfiddich rassemble les axes évolutifs potentiels du monde du whisky. On retrouve la flambée des prix des whisky millésimés via la conservation des stocks. On retrouve la sonde des clients afin de garder une plasticité dans sa production. On retrouve enfin la personnalisation marquée lorgnant sur le luxe et la justification tarifaire.
Ceci n’est qu’un avis parmi tant d’autres, une bouteille de whisky dans une mer économique déchaînée.
A vous de vous faire votre propre opinion. Pour les plus curieux d’entre vous :
https://www.glenfiddichgallery.com/
1 Comment
L'Affreux Aigle
29 novembre 2014 at 18 h 12 minAhurissant, délirant, inquiétant…
Et un site à la maniabilité bien perfectible !